mardi 26 mai 2015

Banksy: de la colombe au bébé chat... partie 2

Février 2015. Banksy séjourne clandestinement à Gaza et intervient sur quatre murs de la ville. Il prolonge ainsi son action d'artiste de 2005 en Cisjordanie. (Voir sur ce blog: Banksy: de la colombe au bébé chat... partie1)
Il ne s'arrête cependant pas à une simple réalisation de peinture de rue, mais crée également une vidéo diffusée sur le net, intitulée "Make this the year YOU discover a new destination", à partir des images qu'il a ramené de son expédition.



Il a tourné cette fausse publicité d'agence de voyage pour sensibiliser encore plus l'opinion publique internationale sur la situation des habitants de Gaza, dans laquelle il témoigne avec humour de la réaction des gazaoui face à ses  peintures.



Petit chat. Banksy. 2015 Gaza
À un homme qui lui a demandé ce que cela signifiait, de peindre ainsi un bébé chat dans une zone dévastée, Banksy a répondu: «Je voulais attirer l'attention des gens sur la destruction de Gaza en postant des photos sur mon site internet - mais sur internet, les gens ne regarde que des photos de chatons.»
(Les vidéos les plus visionnées sur internet sont en effet celles qui mettent en scène des petits chats!)
Celui qu'il a tagué sur le mur d'une habitation, a lui au moins, trouvé une pelote de métal pour jouer, alors que les enfants, là bas, n'ont rien pour s'amuser (si ce n'est les tours de miradors, comme le suggère son second graphe), victimes de l'isolement de la bande de  Gaza.

L'embargo appliqué à cette région (“Gaza est souvent décrite comme ‘la plus grande prison à ciel ouvert du monde’ parce que personne ne peut y entrer ou en sortir. Mais ça paraît assez injuste pour les prisons – ces dernières n’ont pas l’électricité et l’eau courante coupées aléatoirement chaque jour”. Banksy) est décrit dans cette vidéo de manière si ironique que le  tragique de la situation interpelle la responsabilité de chacun, sans pour autant imposer un sentiment de culpabilité, qui serait contre productif.



"Si, dans un conflit entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, nous nous en lavons les mains, nous sommes du côté de ceux qui ont le pouvoir – nous ne sommes pas neutres”.


Mais ce qui crée le buzz cependant, est encore une fois le destin des trois peintures qu'il a réalisé sur place. En se les appropriant, les habitants ont pu faire parler d'eux, à travers le questionnement sur le marché de l'art et la spéculation sur les oeuvres de street art.
Voici un exemple de relais médiatique:
Il s'agit d'un extrait de la chronique d'Antony Bellanger, du 1mai 2015, retranscrite sur le site de France Inter.

France Inter logo...
-"Eh bien, Banksy est passé par Gaza (il est même entré clandestinement en passant par les tunnels entre l’Egypte et la bande de Gaza) en février et il a laissé sur les murs détruits par l'opération israélienne d'août dernier trois fresques représentant un chaton avec un gros nœud rose, une déesse grecque en pleurs et des enfants jouant sur un manège.
Trois fresques, trois destins : la première, le gros chaton, a été peinte sur le mur de la maison détruite de la famille Shenbari qui raconte volontiers comment Banksy leur a poliment demandé s'il pouvait travailler sur leur mur.
Non seulement les Shenbari lui ont donné leur accord, mais toute la famille l'a entouré,  lui a apporté de l'eau et de la nourriture, lui a promis de ne pas prendre de photos de lui au travail. Chose promis chose due : M. Shenbari refuse de décrire l'artiste.
Je répète qu'il ne savait pas qui était Banksy, ni le cadeau ahurissant que l'artiste faisait à cette famille ruinée par la guerre. Mais le plus beau, c'est que M. Shenbari n'a jamais cherché à monnayer l'œuvre. Mais à la protéger !

-Comment ça, la protéger ?

-Il a décidé, avec ces enfants et son épouse de construire autour de sa fresque une sorte de cage grillagée pour empêcher les visiteurs de toucher l'œuvre avec un auvent contre les intempéries. Il veut en faire un musée pour que tout le monde puisse en profiter.


-Et les autres fresques ?

-La seconde, la déesse grecque en pleurs, a été peinte sur une porte de fer au milieu des décombres. Elle a connu un tout autre destin : un amateur d'art s'est vite aperçu de la valeur de l'œuvre. Il a acheté la porte pour rien et sans rien dire à son propriétaire.
Lorsque le propriétaire s'en rendu compte qu'il s'était fait avoir, il a porté plainte auprès des autorités du Hamas. Du coup, la police est passé, a récupéré la porte et l'affaire est aujourd'hui devant les tribunaux qui devront décider d'annuler ou non cette vente.

Quant à la 3ème fresque, les enfants jouant au manège, elle est située en pleine rue, sur le mur extérieur d'une maison habitée et tout le monde à Gaza en profite sans police, ni visite guidée. Une œuvre pour tous en fait, comme il se doit !

Trois œuvres et donc trois destins : la solidarité pour la 1ère, l'avidité pour la deuxième et le partage pour la 3ème. Banksy a donc suscité, en quelques coups de bombes à peinture, et à Gaza, l'éventail presque complet des sentiments humains ! Bravo l'artiste !"...




Manège. Banksy. 2015 Gaza




"Bomb damage", Banksy, 2015, Gaza city.


Encadrement de la porte emportée en lieu sûr par la police en attendant le procès





En jouant avec sa notoriété et la manière dont elle lui a été acquise (peintures vendues à des galeries et musées par des spéculateurs qui les ont arrachées à la rue, ce qui les dénature, mais a donné de la valeur marchande à son travail et à fait connaître Banksy dans le monde entier) l'artiste peut donner le l'ampleur aux messages qu'il véhicule, aussi bien sur la situation de Gaza, que sur l'art, à l'image de Niobée, qu'il a représenté sur cette porte qui ne va nulle part...


lundi 25 mai 2015

Banksy, de la colombe au bébé chat... Partie 1.

Pour aller au-delà du cours et comprendre le destin de la peinture de Banksy...

2005: Banksy et un collectif d'artiste de street art du "Santa's Ghetto" (galerie d'art underground londonienne) interviennent sur le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie, côté palestinien, ainsi qu'en divers lieux traversés lors de son séjour, notamment à Bethléem.

"Dove". Banksy. 2005. Check-point d'entrée à Bethléem.
Message d'espoir dédié aux populations civiles, les œuvres, bien que provocantes, empreintes d'ironie et d'humour noir,  ne sont pas directement sujet à polémique. Elles prônent la non violence, défendent la paix, la liberté, la justice, manifestent contre la guerre et tous les fléaux engendrés par l’homme.
Son but est de faire prendre conscience de la situation de crise du pays, notamment aux pèlerins qui viennent se recueillir sur les lieux de la naissance de Jésus.




 
Les différentes actions du projet "Santa's ghetto" (galerie d'art temporaire, performance médiatique,  site internet, merchandising...) s'articulent entre l'utilisation du système économique de l'art et la curiosité de ces touristes.
Non seulement, ils sont une manne économique ("Banksy tour" proposé par les taxi, boutiques de souvenir du mur...), mais ils propagent par la poétique et la beauté du message, de carte postale en carte postale, de photo en photo, de blog en blog, et dans le monde entier, l'idée d'une autre solution que celle d'un mur, pour permettre aux populations de cette région de vivre en paix.





La portée politique des œuvres est de ce fait totalement subversive: ayant l'apparence d'avoir été récupéré par un capitalisme abject, qui crée de la richesse de manière révoltante, sur l'expression du malheur et de la misère engendrés par le conflit, le projet manipule l'image d'un grand musée à ciel ouvert, dont l'exploitation (organisé par Banksy lui-même) fait polémique, et finalement dénonce indirectement, mais peut être bien plus efficacement, la construction de ce mur, au niveau international, en prolongeant le propos des peintures elles-mêmes.





Graphe palestinien: apologie de l'intifada (guerre des pierres)
La population locale, cependant, n'a pas confiance en cette démarche, qui joue avec la contradiction.
La normalisation de la situation semble en effet déservir son intérêt. En inscrivant ses œuvres parmi les graffiti et peintures contestataires des habitants, "Santa's Ghetto" entraine leurs revendications dans une récupération artistique et commerciale qui désamorce la force des revendications.




 
Paradoxalement, en effet, la beauté (et la présence d'un touriste venu l'admirer) semble donner  au mur un certain droit d'exister, alors même qu'elle en dénonce la légitimité.
 Le mur, cible d'un vandalisme qui crie son indignation, en devenant un support artistique, entérine sa présence.
Banksy raconte dans son livre Wall & Piece, qu’un jour, alors qu'il graffait des enfants près d'une plage, un habitant est venu lui dire : « Vous embellissez le mur ».
Banksy, a répondu, flatté: « Merci, c’est gentil ».
Ce à quoi, il s'est vu rétorquer: « On ne veut pas que ce mur soit beau, on ne veut pas de ce mur, rentrez chez vous ».





Trois types de réaction de la population sont visibles aujourd'hui.
Certaines peintures ont été détruites en étant recouvertes de crépi, ou au contraire, elles ont été protégées et mises en valeur pour être laissée à la vue de tous.
Désacralisées par des graffiti qui en font le commentaire, d'autres ont été intégrées dans l'espace de révolte populaire: elles perdent leur statut d’œuvre d'art pour revenir à leur nature d'origine.
Ces différentes appropriations servent, chacune à leur manière, à établir un dialogue des idées, dans une situation politique pour le moment dans l'impasse.

Enfant jouant avec sa pelle et son seau. Banksy. 2005. Mur de séparation près de Qalandiya, Cisjordanie, Palestine. Graffitti contenant messages d'insulte ou d'espoir,  en anglais ou en arabe.


Fillette fouillant au corps un soldat. Banksy. 2005. Palestine. Peinture mise en valeur: pose d'un enduit qui la détoure et fait cadre, ajout d'une lampe extérieure pour l'éclairer la nuit.



Soldat israélien vérifiant les papiers d'un âne. Banksy. 2005. Palestine. Peinture aujourd'hui déposée.

Série des rats, London? 2004?


Banksy reste cependant, à la fois conscient de l'importance de son travail, mais aussi de son impact limité, comme le suggère ironiquement certaines de ses peintures.
"Si les graffiti changeaient quoi que ce soit, ce serait illégal"...